Le geai du Canada est l'une des espèces les plus rustiques du Canada et on le retrouve dans toutes les provinces et territoires. (Photo : Robyn Cartwright/Can Geo Photo Club)

La première fois que j'ai nourri à la main un geai du Canada, j'étais nerveux. J'avais lu comment cet oiseau notoirement audacieux se dirigeait droit vers n'importe quelle main tendue avec de la nourriture dessus, déterminé à partager tout ce qui lui était proposé. Alors que je me tenais sur le sentier enneigé du parc provincial Algonquin, en Ontario, j'étais en proie à une anxiété liée à la performance. Le geai du Canada m'aimerait-il ? Serait-il offensé par les bouvreuils eurasiens brodés sur mes mitaines ?

Et pourtant, j'avais hâte de rencontrer un oiseau si mémorable qu'il porte au moins 30 noms différents, chacun évoquant un aspect distinct de sa personnalité, du familier « whisky jack » — une version anglicisée du cri wîskicahk — au coloré « camp voleur » au folklorique « gorbey » – dérivé du mot écossais pour glouton. Il y a aussi l'« oiseau élan » à consonance carnivore, l'« oiseau gras » franchement peu recommandable et le « faucon chevreuil » potentiellement agressif.

Sorti de nulle part, un gros oiseau moelleux à dos charbonneux s'est abattu, a atterri sur mon gant et a commencé à fouiller dans le buffet de mélange montagnard. Avec sa longue queue, sa capuche sombre et sa tache blanche brillante sur le front, il ressemblait à une mésange mignonne, quoique envahie par la végétation. Avant de fouiller dans les canneberges séchées, le geai a incliné la tête et m'a scruté de ses yeux noirs inquisiteurs. J'ai retenu mon souffle pendant que nous nous regardions, mais le geai du Canada n'a pas bronché. De manière inattendue, apprivoisé envers les gens, il considérait mon gant comme son territoire – et il savait exactement ce qu'il voulait.

Lorsqu'elles sont gonflées en hiver, les plumes du geai servent de parka pour tout le corps. (Photo : Tina Sawicki/Can Geo Photo Club)

Quand j'ai entendu parler pour la première fois du comportement du geai du Canada dans AC Bent's Histoires de vie des oiseaux, leur audace paraissait improbable. Ces oiseaux ont-ils vraiment pénétré par effraction dans les tentes des bûcherons, fouillé pour trouver de la nourriture, ouvert des boîtes et volé tous les produits comestibles qu'ils pouvaient sur les tables des campeurs – du bacon aux fèves au lard en passant par le savon ? Mais voir son appétit insatiable et ses manières rusées m'a fait réaliser que ces histoires n'étaient pas une blague.

J'ai rapidement appris que cet oiseau pelucheux est l'une des espèces les plus robustes et les plus intrépides du Canada. Il a également été le gagnant officiel du Canadien GéographiqueLe National Bird Project du Canada, un concours national organisé en 2016 pour choisir un oiseau national du Canada. Le geai du Canada habite non seulement toutes les provinces et tous les territoires ; cela bouleverse nos attentes concernant le comportement des oiseaux et nous oblige à renoncer une fois pour toutes à l’expression péjorative de « cerveau d’oiseau ». Au contraire, le cerveau d'un oiseau du geai du Canada est quelque chose à envier : il possède une intelligence hors du commun, une mémoire prodigieuse et une véritable curiosité pour le monde qui l'entoure. Ajoutez à cela le manque de timidité du geai envers les gens, et il n'est pas étonnant que Dan Strickland ait noté que cet oiseau « fait partie de la psyché et du caractère national du Canada ». Strickland, naturaliste en chef à la retraite du parc provincial Algonquin, suit les geais du Canada depuis les années 1970 et a été l'instigateur de la restauration du nom commun de l'oiseau (il était connu depuis longtemps sous le nom de geai gris).

Carte : Chris Brackley ; Données sur l'aire de répartition du geai du Canada 2020 : la Liste rouge de l'UICN des espèces menacées.

Les geais du Canada construisent généralement leurs nids en février et pondent leurs œufs en mars. (Photo : Brett Forsyth Photographie)

Le geai du Canada défie les attentes. Son air mignon et souvent sage dissimule le fait que cet oiseau a adapté son comportement pour survivre – et se reproduire – dans les hivers rigoureux des forêts boréales. « Ils naviguent tout l'hiver même s'il n'y a pas de nourriture visible aux alentours », s'émerveille Strickland. De plus, ils s’en sortent étonnamment mieux en hiver qu’en été, car la saison plus froide signifie moins de prédateurs. Et quant à ces plumes moelleuses, elles gonflent et servent de parka intégrale par temps glacial.

Alors que bon nombre des multiples identités onomastiques du Geai du Canada se concentrent sur sa nature rusée et sa capacité à socialiser avec les gens, aucune ne célèbre l'ingénieuse technique de stockage de nourriture de l'oiseau qui facilite sa survie hivernale. Membres de la famille des corvidés, extrêmement intelligents, ces geais sont des « collectionneurs de dispersion », mais ils sont les seuls à stocker leur nourriture en hauteur dans les arbres (pour éviter de la perdre dans la neige), en serrant leurs caches sous l'écorce ou les lichens. Plus spectaculaire encore, ces omnivores ne se contentent pas de stocker des graines comme les autres geais : ils cachent une gamme élaborée de denrées périssables, notamment des baies, des insectes, des champignons et même des morceaux de viande qu'ils ont récupérés. Ils enveloppent chaque morceau de nourriture, accumulé au cours de l’été et de l’automne, dans une généreuse quantité de salive collante, qu’ils possèdent en abondance grâce à un super pouvoir biologique. Ce super pouvoir ? Glandes salivaires extra-larges qui s'étendent du coin du bec de l'oiseau et se rejoignent presque à l'arrière de la tête.

Une fois emballées, les caches alimentaires sont rangées dans des conifères où la résine de l'arbre ralentit l'activité bactérienne et fongique pour empêcher les aliments périssables de se décomposer. C'est là qu'intervient la mémoire enviable des oiseaux : ils se souviennent de l'emplacement précis de la plupart de leurs caches. Et on sait qu’ils cachent jusqu’à un millier de caches en une seule journée !

On dit souvent que les oiseaux maximisent leurs chances de survie en se reproduisant dans les meilleures conditions possibles de réussite généalogique. Alors, comment expliquer le choix du Geai du Canada de commencer à construire son nid en février, alors que les températures dans la forêt boréale peuvent osciller autour de -30 °C ? Les œufs sont pondus en mars, puis éclosent début avril. Il y a souvent encore de la neige au sol lorsque les jeunes quittent le nid début mai. Tout cela peut paraître fou, mais il s’agit en réalité d’une stratégie très entreprenante. Élever leurs petits avant que les écureuils ne soient aussi actifs et avant l'arrivée des faucons migrateurs signifie qu'il y a moins de chances que leurs nids soient attaqués et, tout aussi crucial, laisse aux oiseaux suffisamment de temps pour accumuler et stocker de la nourriture pour l'hiver à venir.